Busine père & filsÀ l'occasion de l'exposition que la Group 2 Gallery consacre à Zéphir Busine, nous avons rencontré son fils, Laurent, actuel directeur du Mac's, où il s'apprête à présenter la dernière exposition de son mandat de curateur. Laurent Busine, directeur du Mac's - dont il passera les rênes, dans quelques mois, à son successeur Denis Gielen -, nous parle avec chaleur de son artiste de père que, de manière touchante, il appelle toujours "papa"... Et ce dans la Group 2 Gallery, devant les toiles de Zéphir. |
Quelle fut l'importance de votre père dans vos choix de carrière?
Fondamentale. Il est assez curieux, lorsqu'on est gamin, de voir son papa gagner sa vie en jouant, ce que je faisais à cinq ans avec mes crayons de couleur et de la peinture. À cet âge, on a tendance à vouloir être dans la norme. À l'école, lorsque je racontais que mon papa était artiste peintre, c'est à la limite si on ne me demandait pas son vrai métier.
Quand j'étais petit, on faisait beaucoup de vitraux à la maison. Après 45, je suis né en 1951, les dommages de guerre s'appliquaient à tous les monuments et bâtiments publics qui avaient été détruits. Mon papa a donc créé énormément de vitraux, ce qui nous permettait de vivre. Une époque un peu étrange, au cours de laquelle ces artistes ont commencé leur carrière: tout était à refaire, tout était objet d'art. À notre époque ce n'est plus le cas, ce qui m'a toujours troublé.
Et dans votre conception également, tout est objet d'art?
C'est un peu cela: la curiosité peut se porter sur tout. Quand il voyait une nouvelle forme d'art, papa apprenait les techniques et s'y mettait. Pour la verrerie, il a été travailler à Boussu durant quelques mois. Il était très précis au niveau de la technique et ensuite tout pouvait être création. Avec lui, j'ai appris à tailler le bois, la pierre, à souder et à réaliser des vitraux. Nous étions très liés.
J'ai assisté à l'accrochage que mon père réalisait lors de ses expositions. Je le regardais faire, rapprocher ou éloigner les tableaux. En fait, quand j'ai un problème dans mon métier, je fais appel à mon joker: je me mets dans un coin et j'invoque les souvenirs. Cela m'a souvent aidé. Nous réalisions également des livres ensemble, des mises en page, des affiches... Papa a fait des quantités de choses, mais toujours en continuant son travail de peintre.
Finalement, il vous a appris votre métier?
Oui, c'est assez scandaleux, mais on me paie pour jouer comme lorsque j'avais cinq ans. Toute ma vie j'ai fait des catalogues, des affiches, des expositions, des mises en places que je faisais avec mon papa quand j'étais gamin. Il est mort très jeune, à 59 ans, et je me rappelle exactement de quand date ma première insomnie: le 27 février 1976... Il est mort le 26.
Regrettez-vous que votre père n'ait pas pu assister à l'éclosion de votre carrière de curateur et de directeur?
Bien sûr. Il est mort en 76 et je suis entré en fonction au Palais des Beaux-Arts de Charleroi en 78. Même si nous n'aurions pas été d'accord sur tout - ce qui est normal -, il en aurait, du moins je l'espère, conçu une certaine fierté.
Votre père vous a-t-il, à son contact, transmis une empathie pour les artistes?
Oui, mais très vite j'ai pris une décision dans ma carrière: ce que je montrais, c'était des oeuvres, pas des artistes. Ce sont elles qui doivent nous parler. Savoir qu'un artiste a eu la varicelle à quinze ans ne m'intéresse pas beaucoup.
Parlons de l'héritage, car si, dans le cas de votre père, ses tableaux lui ont survécu, du vôtre, que va-t-il rester?
Pas grand-chose sans doute, les expos étant éphémères. Le souvenir que certains en auront, ce qui est déjà bien. Et puis quand ceux-là seront morts, plus rien! Sauf peut-être quelques catalogues, raison pour laquelle nous avons toujours fort soigné l'édition. L'avantage d'une exposition, c'est de réunir, durant un temps précis, des oeuvres qui ne devraient pas l'être. Et soudain on a la possibilité de faire la mise au point sur un moment, qu'il s'agisse de 150 oeuvres de Paul Klee ou d'autres, diverses. Mais si j'avoue bien aimer le côté éphémère d'une expo, c'est aussi ce qui m'a poussé à vouloir créer un musée.
Vous peignez?
Non, mon Dieu! J'ai commis deux trois petites choses en son temps, mais si on prend la décision de devenir curateur de musée ou directeur, on ne peut pas être la chèvre et le chou. Ce serait même une faute de déontologie.
Et pour vous-même?
Ah! Pour soi-même, on fait toutes sortes de choses, la cuisine... tout ça.
L'élève a dépassé le maître en termes de popularité. Vous en êtes fier ou vous sentez-vous coupable..
Non, ce serait preuve de fausse modestie de dire que je n'en suis pas heureux. Je suis ravi qu'on ait pu reconnaître la pertinence des expositions à tendance poétique, surtout dans le monde matérialiste dans lequel nous vivons, preuve qu'il y a un besoin.
Vous trouvez injuste que votre père ne soit pas plus connu?
En son temps, à la fin de sa carrière, il vendait beaucoup. Ensuite, comme toujours, il y a un creux inévitable. Moi-même, cinq ans après sa disparition, je me demandais comment on allait pouvoir exposer certaines choses. Maintenant, le temps a passé et je retrouve une sorte de fil rouge qui relie les périodes entre elles. Le recul est nécessaire.
Surtout dans un rapport aussi émotionnel?
Oui. Et si vous me demandiez quel est le peintre que je préfère, je vous répondrais mon papa.
Maintenant que vous allez être pensionné, pensez-vous faire une exposition sur votre père?
Non. Je suis le moins bien placé pour le faire. Trop d'émotion, trop de partialité. Je vais simplement continuer à écrire, à faire de petites éditions... et la cuisine. J'ai beaucoup de travail en perspective: on m'a proposé une exposition à Sienne... Il y a pire. J'ai fait semblant d'hésiter une demi-seconde, puis j'ai dit ouiquand même. (Il rit.)
Ce que je pourrais peut-être me permettre et que je n'ai jamais fait, c'est d'inclure une des oeuvres de mon papa dans une expo.
Fondamentale. Il est assez curieux, lorsqu'on est gamin, de voir son papa gagner sa vie en jouant, ce que je faisais à cinq ans avec mes crayons de couleur et de la peinture. À cet âge, on a tendance à vouloir être dans la norme. À l'école, lorsque je racontais que mon papa était artiste peintre, c'est à la limite si on ne me demandait pas son vrai métier.
Quand j'étais petit, on faisait beaucoup de vitraux à la maison. Après 45, je suis né en 1951, les dommages de guerre s'appliquaient à tous les monuments et bâtiments publics qui avaient été détruits. Mon papa a donc créé énormément de vitraux, ce qui nous permettait de vivre. Une époque un peu étrange, au cours de laquelle ces artistes ont commencé leur carrière: tout était à refaire, tout était objet d'art. À notre époque ce n'est plus le cas, ce qui m'a toujours troublé.
Et dans votre conception également, tout est objet d'art?
C'est un peu cela: la curiosité peut se porter sur tout. Quand il voyait une nouvelle forme d'art, papa apprenait les techniques et s'y mettait. Pour la verrerie, il a été travailler à Boussu durant quelques mois. Il était très précis au niveau de la technique et ensuite tout pouvait être création. Avec lui, j'ai appris à tailler le bois, la pierre, à souder et à réaliser des vitraux. Nous étions très liés.
J'ai assisté à l'accrochage que mon père réalisait lors de ses expositions. Je le regardais faire, rapprocher ou éloigner les tableaux. En fait, quand j'ai un problème dans mon métier, je fais appel à mon joker: je me mets dans un coin et j'invoque les souvenirs. Cela m'a souvent aidé. Nous réalisions également des livres ensemble, des mises en page, des affiches... Papa a fait des quantités de choses, mais toujours en continuant son travail de peintre.
Finalement, il vous a appris votre métier?
Oui, c'est assez scandaleux, mais on me paie pour jouer comme lorsque j'avais cinq ans. Toute ma vie j'ai fait des catalogues, des affiches, des expositions, des mises en places que je faisais avec mon papa quand j'étais gamin. Il est mort très jeune, à 59 ans, et je me rappelle exactement de quand date ma première insomnie: le 27 février 1976... Il est mort le 26.
Regrettez-vous que votre père n'ait pas pu assister à l'éclosion de votre carrière de curateur et de directeur?
Bien sûr. Il est mort en 76 et je suis entré en fonction au Palais des Beaux-Arts de Charleroi en 78. Même si nous n'aurions pas été d'accord sur tout - ce qui est normal -, il en aurait, du moins je l'espère, conçu une certaine fierté.
Votre père vous a-t-il, à son contact, transmis une empathie pour les artistes?
Oui, mais très vite j'ai pris une décision dans ma carrière: ce que je montrais, c'était des oeuvres, pas des artistes. Ce sont elles qui doivent nous parler. Savoir qu'un artiste a eu la varicelle à quinze ans ne m'intéresse pas beaucoup.
Parlons de l'héritage, car si, dans le cas de votre père, ses tableaux lui ont survécu, du vôtre, que va-t-il rester?
Pas grand-chose sans doute, les expos étant éphémères. Le souvenir que certains en auront, ce qui est déjà bien. Et puis quand ceux-là seront morts, plus rien! Sauf peut-être quelques catalogues, raison pour laquelle nous avons toujours fort soigné l'édition. L'avantage d'une exposition, c'est de réunir, durant un temps précis, des oeuvres qui ne devraient pas l'être. Et soudain on a la possibilité de faire la mise au point sur un moment, qu'il s'agisse de 150 oeuvres de Paul Klee ou d'autres, diverses. Mais si j'avoue bien aimer le côté éphémère d'une expo, c'est aussi ce qui m'a poussé à vouloir créer un musée.
Vous peignez?
Non, mon Dieu! J'ai commis deux trois petites choses en son temps, mais si on prend la décision de devenir curateur de musée ou directeur, on ne peut pas être la chèvre et le chou. Ce serait même une faute de déontologie.
Et pour vous-même?
Ah! Pour soi-même, on fait toutes sortes de choses, la cuisine... tout ça.
L'élève a dépassé le maître en termes de popularité. Vous en êtes fier ou vous sentez-vous coupable..
Non, ce serait preuve de fausse modestie de dire que je n'en suis pas heureux. Je suis ravi qu'on ait pu reconnaître la pertinence des expositions à tendance poétique, surtout dans le monde matérialiste dans lequel nous vivons, preuve qu'il y a un besoin.
Vous trouvez injuste que votre père ne soit pas plus connu?
En son temps, à la fin de sa carrière, il vendait beaucoup. Ensuite, comme toujours, il y a un creux inévitable. Moi-même, cinq ans après sa disparition, je me demandais comment on allait pouvoir exposer certaines choses. Maintenant, le temps a passé et je retrouve une sorte de fil rouge qui relie les périodes entre elles. Le recul est nécessaire.
Surtout dans un rapport aussi émotionnel?
Oui. Et si vous me demandiez quel est le peintre que je préfère, je vous répondrais mon papa.
Maintenant que vous allez être pensionné, pensez-vous faire une exposition sur votre père?
Non. Je suis le moins bien placé pour le faire. Trop d'émotion, trop de partialité. Je vais simplement continuer à écrire, à faire de petites éditions... et la cuisine. J'ai beaucoup de travail en perspective: on m'a proposé une exposition à Sienne... Il y a pire. J'ai fait semblant d'hésiter une demi-seconde, puis j'ai dit ouiquand même. (Il rit.)
Ce que je pourrais peut-être me permettre et que je n'ai jamais fait, c'est d'inclure une des oeuvres de mon papa dans une expo.
Par Bernard Roisin